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  • Photo du rédacteurGml.prod

Le journaliste de terrain en TV/Les dessous de l’info

Dernière mise à jour : 4 oct. 2019

Journaliste durant une dizaine d’année à TF1 puis France 2, j’ai eu mot lot de stress, d’émotions et de satisfactions. Je vous propose de découvrir, grâce à ce témoignage, la journée type d'un journaliste-rédacteur-reporter en TV.


En télé, un journaliste rédacteur est celui qui propose un sujet à la rédaction ou s’en voit imposer un, pose les questions à la personne interviewée, écrit son commentaire et le lit (voix off). Il réalise ce reportage avec un JRI « journaliste reporter d’images » qui filme avec sa caméra.


Voici donc la journée type d’un reporter TV. Retour en arrière sur une journée, suivie d’une longue semaine, qui m’a profondément marquée.

8 mai 2002. Attentat de Karachi, au Pakistan. Une bombe vient de pulvériser un bus qui transportait des employés français de la direction des construction navales, la DCN.


Je suis chez moi, je dors. La rédaction m’appelle. Il faut immédiatement partir à Cherbourg, au siège de la DCN pour recueillir des témoignages.


Dans la voiture, tandis que mon collègue JRI conduit, je passe des dizaines de coups de fils. La direction de la DCN refuse de s’exprimer. Il faut pourtant trouver des témoignages.

La rédaction m’appelle. C’est officiel: l’attentat a fait 14 morts dont 11 employés de la DCN. L’attentat est attribué à Al-Qaïda.


« Trouves des familles de victimes. Il vivaient tous à Cherbourg » m’ordonne mon chef.

J’active mon réseau, je téléphone, encore et encore. Nous approchons de Cherbourg et je n’ai toujours aucun début d’indice pour obtenir un témoignage. Un contact fini enfin par me donner un nom. Celui d’un employé. Il ne me reste qu’à trouver son adresse.





Nous arrivons sur place. Je sonne, la boule au ventre. Une femme m’ouvre. Je suis explique la raison de notre présence si matinale.

Elle accepte de nous faire rentrer chez elle. Elle est au courant de l’attentat et se fait un sang d’encre à propos de son mari qui était sans doute dans le bus qui a été éventré. Ses enfant sont là, à ses côtés, et nous ressentons leur angoisse.


La mère de famille nous autorise à les filmer et accepte de répondre à mes questions afin de réaliser un reportage qui sera diffusé dans le journal de 13H. Cf article sur mon blog Le live: un parfum de vérité.


Nous commençons l’interview. Elle témoignage de son inquiétude et du manque d’informations dont elle dispose.


Le téléphone sonne. Nous continuons à filmer pour avoir des images. Son visage se fige. Elle ne parle plus et s’assoie. Des larmes coulent sur son visage.

A l’autre bout du téléphone, une amie proche dont l’époux travaille aussi la DCN.

Notre hôte vient d’apprendre que son mari a été grièvement blessé et que l’époux de son amie est décédé.

Dans ses yeux, nous lisons la détresse et la panique. Elle ne parvient plus à penser et elle est submergée par l’émotion.


Impossible, naturellement, pour mon collègue et moi de poursuivre l’interview. Il coupe la caméra. Nous cherchons nos mots pour la réconforter et nous excuser de notre présence puis nous laissons cette famille éplorée à son drame.


Aurions-nous dû laisser tourner la caméra et profiter de leur désespoir pour recueillir un témoignage dramatique pris sur le vif? Je ne le crois pas. Nous avons fait le bon choix et l’ouverture du 13h avec notre reportage.

Ce fut le premier d’une longue série car nous sommes restés à Cherbourg 5 jours et 5 nuits pour « alimenter » les journaux de 13h, 20h et ceux de la chaîne info. Nous avons réalisé 4 reportages par jour, avec des angles différents selon les commandes des rédacteurs en chef. Car on ne traite pas une information de la même manière selon qu’elle soit pour un journal de la mi-journée ou du soir. Les téléspectateurs n’étant pas les mêmes.






Le dernier jour de tournage sera pour moi aussi éprouvant que le premier.

Une cérémonie de commémoration en hommage aux 11 victimes françaises est organisée en plein coeur de Cherbourg.

La France entière a les yeux rivés sur cette commune normande du bout du monde.

Le président Chirac va prononcer l’oraison funèbre et décerner la Légion d’honneur aux victimes à titre posthume.

Mon collègue et moi sommes épuisés. Une dernière commande de la chaîne info et du 13 heures nous demande de faire un micro trottoir pour savoir ce que les gens attendent de cette cérémonie et du discours du président de la République.


Ce n’est pas très compliqué à faire. Choisir des gens au hasard et leur poser une ou deux questions. Il y a pire pour terminer cette mission. Sauf que…


J’intercepte des promeneurs le long de la mer. Un, deux, trois…dix…mais je ne suis toujours pas satisfaite. Le micro trottoir ne me semble pas assez équilibré ni refléter l’ambiance étrange qui règne dans la cité du Cotentin.


Parmi les centaines de personnes qui se promènent, j’aperçois un couple de personnes âgées qui marche lentement sur la berge. « Allez, les derniers ! « dis-je à mon collègue.

La caméra tourne. Je demande : « Madame, qu’attentez-vous au juste de l’intervention du président Chirac ? »

Un cri. Un hurlement de douleur plus exactement me déchire le coeur. Surpris, mon collègue et moi nous sursautons et reculons instinctivement mais la dame s’effondre en larmes et m’agrippe l’avant-bras. « C’est mon fils madame ! C’est mon fils qui est mort ! »


Je n’oublierai jamais son regard, ni sa voix, ni sa main serrée sur mon bras. Accablée par la honte, je m’excuse, désolée de l’avoir dérangée et de lui avoir poser cette question.


Elle me regarde, desserre légèrement l’étreinte de sa main, et me rassure. « Vous n’y êtes pour rien. Ce n’est pas votre faute. Je vais vous parler de mon fils. C’était quelqu’un ….»

Vidée. Je suis complètement vidée. J’ai envie de vomir. Pourquoi je suis là ? A quoi je sers? Qu’est-ce qu’on est en train de faire ? Est-ce bien utile de poser ce genre de questions ? Les interrogations se bousculent dans ma tête.

Et que faire de cette « séquence émotion » ? La diffuser pour faire l’ouverture du journal et frapper les esprits ? L’oublier ?


Si mon collègue a été surpris par le cri de la dame et que la caméra a fait un mouvement de recul, il a continué à filmer. La dame nous a parlé de son fils, de l’ingénieur exemplaire qu’il était, du dévouement pour son entreprise…


Que faire ? En 5 jours, seuls deux journalistes ont eu le témoignage d’un proche des victimes. Un concurrent et moi. Toutes les rédactions font pression sur les journalistes présents à Cherbourg pour qu’ils ramènent de l’interview de familles. Mais la DCN les protège et affrète des bus pour les transporter. Personne ne peut les approcher.


Alors que faire ? Avec mon collègue nous faisons le choix de diffuser l’interview de cette dame en ayant pris soin d’enlever son cri de désespoir. Elle parle de son fils, on voit sa main s’accrocher à mon bras. L’interview est émouvante mais sobre et vaut bien mieux qu’un micro trottoir.


Nous pensons en avoir fini avec la couverture de l’attentat de Karachi. Mais non ! La rédaction du 20 heures nous demande de faire un dernier reportage. Et pas des moindres !


Nous devons, après la cérémonie de Cherbourg, suivre le car qui emmène les proches des victimes dans un ministère à Paris pour récupérer encore des témoignages, mais cette fois à l’arrivée, après la cérémonie…

Suivre un bus sur l’autoroute … harceler des familles à leur descente pour leur demander ce qu’ils ont pensé de la cérémonie…. Quel intérêt ?


Le car en question sera escorté par une cohorte de journalistes, certains en moto pour s’approcher au plus près et filmer le désespoir à travers les vitres… Toutes les rédactions on eu la même idée. La même mauvaise idée. Mais ce sont les chefs, nous, reporter de terrain, on exécute…


Avec mon collègue, nous avons une longueur d’avance. Nous débuterons le reportage de 20h avec le témoignage de la mère d’une victime déjà diffusé dans le journal de 13H. Nous avons en notre possession, comme tout le monde, des images de familles endeuillées qui montent dans le car, des images d’un car qui roule vers la capitale, (c’est passionnant !) il ne nous reste plus qu’à être bien placés à l’arrivée de celui-ci pour s’approcher d’une famille.


Il est déjà tard. Le temps presse. Deux heures avant le début du journal de 20h. Mon collègue commence à monter le reportage dans la voiture pendant que je conduis. Sur une aire d’autoroute, nous enregistrons mon commentaire et nous n’avons aucun mal à rattraper le car qui route à 90km/h.


Arrivés dans Paris, c’est la course-poursuite. Les voitures de journalistes slaloment entre les files, grillent les feux pour ne pas perdre de vue le car qui roule sur une voie réservée. Puis il stoppe.

Nous voyons les familles commencer à descendre et abandonnons notre voiture en double file. Caméra à l’épaule, mon collègue fonce vers le premier venu, je lui pose LA question (genre: alors satisfaits de la cérémonie ?) et c’est fini.

Nous laissons la place aux autres journalistes.

Nous n’avons pas le temps de rejoindre la rédaction en plein coeur de Paris pour transmettre notre reportage. Elle nous a envoyé un motard pour le récupérer.

Enfin débarrassés !



Ces 5 jours m’auront beaucoup appris sur moi et sur ce métier. Jusqu’où j’étais prête à aller pour informer ? Que voulais dire d’ailleurs le mot informer ?

Seule certitude, j’allais prendre du recul. 4 ans après, j’arrêtais le journalisme.


Mais si je l’étais restée, j’aurai certainement travaillé ce vendredi 27 septembre 2019. Une journée pas comme les autres…

En me réveillant, j’aurai bien sûr il a lu la presse et écouté la radio avant d’arriver à la conférence de rédaction. Et je saurai déjà où j’allais passer ma journée et celles qui allient suivre.

Un incendie venait de se déclarer dans une usine classée Seveso dans la banlieue de Rouen.



Une épaisse fumée s’en dégageait et les pompiers avaient du mal à le maîtriser.

En conférence de rédaction, tout le monde aurait convenu qu’il fallait y aller. Pendant la nuit, l’équipe locale du bureau de Caen avait été appelée pour couvrir l’évènement. Elle était déjà sur place pour recueillir et filmer les premiers témoignages de pompiers et riverains.


Cet incendie, serait bien sûr l’info du jour. Il s’agissait peut-être même d’une catastrophe. Tous les journaux de 13H ouvriraient sur cet évènement. Il faudrait donc envoyer d’autres journalistes pour prêter main forte à l’équipe déjà sur place.

Le reporter et son JRI partiraient à Rouen avant même la fin de la conférence de rédaction. Ils arriveraient aux alentours de 10h et commenceraient à tourner pour faire un reportage factuel qui ferait l’ouverture du 13H.


Sauf qu’à midi, une dépêche tomberait. Jacques Chirac serait mort.


Brans-le bas de combat dans toutes les rédactions françaises.

Une info en remplaçant une autre, l’incendie de l’usine de Rouen passerait au second plan, voire aux oubliettes… pour le moment. Un ancien président de la République décédé ! Et pas n’importe lequel ! Tout de même !

Editions spéciales. Les programmes en cours seraient coupés net et les présentateurs TV prendraient l’antenne. Certains dès midi, d’autres vers 12H30.

La nécrologie de Jacques Chirac étant déjà en boîte, il n’y aurait qu’à piocher dans le « marbre », comme on dit dans le jargon journalistique.


Tout le monde savait que l’ancien président de la République était en fin de vie et tous les récits de son parcours politique étaient déjà enregistrés et prêts à diffuser. Son portrait, son passage à la mairie de Paris, ses 2 mandats, ses positions politiques sur le plan national et international, ses affaires avec la justices … tous ces angles auraient déjà été prêts à diffuser et les rédactions pourraient tenir l’antenne au moins pendant 40 minutes.

Il ne resterait plus qu’à recueillir les réactions en direct.


Qu’en serait-il de l’incendie de l’usine de Rouen et de l’équipe qui aurait dû faire l’ouverture du 13h ? Elle pourrait prendre son temps. Le reportage serait ou non diffusé en fin d’édition spéciale.


Et la catastrophe me direz-vous ?
Quelle catastrophe ? Celle de la mort de Jacques Chirac ou celle de l’incendie d’une usine classée Seveso dont les suies recouvriraient les écoles, les champs …?
Une info chasse l’autre, une catastrophe chasse l’autre…

Jacques Chirac est mort. C’est fini.

A Rouen c’est le début. Début d’un long feuilleton judiciaire. Espérons qu’il ne s’éternisera pas autant que l’affaire Karachi ! (17 ans)



J’ai été intéressé par ce contenu, je contacte Gml.prod

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